A 97 ans, Henri F9BS nous a quitté pour rejoindre les Anciens de l’AM.
Il nous avait fait un grand plaisir fin 2011 en acceptant de nous rejoindre à l’ARACCMA, en tant que membre d’honneur.
C’est à cette occasion que nous avons appris son passé de télégraphiste et surtout de résistant dont les états de service avaient été reconnu par de nombreuses décorations.
Depuis décembre 1946 et avec l’indicatif F9BS, il a fait le tour du monde mais, pour nous, il était celui qui nous contactait de temps en temps, en AM le soir sur 3600, avec sa station entièrement construite avec des composants de récupération : il en était très fier et il aimait à répéter qu’elle était à «zéro euro et zéro centime».
André F1AFF
Fin 2011, Henri F9BS nous a fait l’honneur de devenir membre de notre association, au cours d’une rencontre, à son QRA situé à THEIX Morbihan (56), avec André F1AFF dont le QRA est proche du sien, également dans le 56.
Theix vu du ciel
Un petit suvol de Theix et ses alentours
Henri en conpagnie d’André
Henri n’a pas hésité à nous laisser prendre des photos de sa station, dont il est très fier, et à nous autoriser à placer dans notre blog un texte sur ses activités passées et présentes.
André nous communique donc ce qu’il a recueilli sur le parcours d’Henri en tant que radioamateur et surtout résistant de 1940-1944.
Préambule
Henri de F9BS venant assez régulièrement dans le QSO AM de 18 heures sur 3600 kHz, le C A a décidé à l’unanimité en 2011 de lui proposer de devenir membre d’Honneur de notre association. Et comme j’étais celui qui était le plus proche de son QRA, j’ai été chargé d’aller le rencontrer pour lui demander s’il acceptait de nous faire, à nous, cet honneur.
Dés le premier contact, j’ai été accueilli chaleureusement par son XYL et lui-même et il a accepté immédiatement de devenir membre de l’ARACCMA comme membre d’Honneur. J’ai appris rapidement qu’il avait été résistant de 1941 à 1944, puis il m’a présenté sa station que j’ai pu photographier sous toutes ses coutures sans aucune réticence de sa part.
J’ai tout de suite constaté que, lorsqu’il disait sur l’air : «station à zéro euro, zéro centime», c’était rigoureusement exact. J’ai été confondu par les trésors d’ingéniosité qu’il avait déployés pour réutiliser toutes sortes d’éléments de récupération pour arriver à construire son émetteur.
Vite passionné par son passé de résistant, je l’ai ensuite revu de temps en temps et mes visites se sont échelonnées de 2012 à 2015 : ce qui peut paraître long pour rédiger un texte de présentation, mais je laissais parler Henri et, outre que nous parlions de beaucoup d’autres choses, je n’ai jamais voulu lui faire endurer un interrogatoire en règle sur ses activités dans la Résistance.
À une occasion, il m’a communiqué deux articles de presse le concernant où l’on peut voir l’évolution de sa station avec le temps.
Concernant sa station qui ne comporte plus d’antenne digne de ce nom, je n’ai pas manqué de lui proposer mon aide pour la réinstaller : malgré mes propositions insistantes, il n’a pas voulu que je me charge de cette opération. Compte tenu de son âge, il ne souhaite probablement plus faire de l’émission.
Henri DISCAZAUX (membre d’Honneur de l’ARACCMA) :
F9BS depuis décembre 1946
REF N° 4062 en 1947
Ancien membre de l’I.S.W.L
Henri naît le 21 juin 1920 à MARSEILLE où son père et sa mère tiennent une épicerie.
À l’âge de 12 ans, on lui fait don d’un poste à galène ; puis il construit un montage à super-réaction ; ces récepteurs sont les points de départ de sa passion pour la radio qui ne le quittera plus.
En 1935, il débute sa vie professionnelle comme apprenti typographe dans une fonderie d’imprimerie, et ce, jusqu’au début de l’année 1939. C’est au cours de cette période qu’il prend le dimanche des cours de Morse qui vont orienter par la suite toute sa carrière et sa vie.
1939-1945
En 1939, il est engagé volontaire comme opérateur radio morse et il est versé au 28ième Génie à Montpellier où il effectue ses classes; il est ensuite affecté, toujours comme radio, à la 7° D.I.N.A (1) qui, de Marseille, fait mouvement ensuite dans la Somme où il constate que, pour monter la garde et aller au « casse-pipes », ses compagnons africains n’ont que cinq cartouches pour leurs armes, de vieux Lebels bien obsolètes.
Démobilisé à la défaite de juin 1940, il revient à Marseille mais il intègre fin 1940 le G.C.R (2) dont la direction recrute du personnel civil ou réserviste compétent , pour renforcer les personnels radio qui doivent assurer la nouvelle orientation de la mission presque totalement secrète de cette unité (3) au profit du 2° Bureau de l’État major des Armées.
Henri, après un complément de formation au centre de HAUTERIVE (Allier), est affecté au centre d’Écoutes et de Goniométrie de BOUILLARGUES dans le Gard. Il participe alors, avec le reste du personnel, au suivi et au repérage des activités de l’ennemi ainsi qu’à l’interception du trafic radio allemand. Ce centre, perdu dans la campagne et bien camouflé, faisait partie des cinq centres composant le G.C.R, avec : HAUTERIVE dans l’Allier (Centre principal et centre de formation des nouveaux opérateurs) et les trois autres centres secondaires suivants : FRANCHELEINS dans l’Ain où Henri a fait un séjour assez court, BORDÈRES près de TARBES et ARGENTON sur Creuse.
Après novembre 1942 qui a vu la fin de la zone libre, et dès la fin de 1942, le camouflage de toutes les activités clandestines du G.C.R. s’effectue notamment en affectant ses hauts responsables militaires à l’administration des PTT de LYON en tant qu’ingénieurs civils, si ce n’avait pas déjà été fait.
Début 1943, Henri, à la suite d’une perquisition de l’occupant précédé de celle de la Milice, quitte à temps BOUILLARGUES afin d’éviter le STO et se réfugie dans la clandestinité, passant ainsi de la résistance organisée au sein des unités de l’état à celle des réseaux de la Résistance. Beaucoup de membres du G.C.R n’auront pas par la suite cette possibilité et cette chance. Après sa prise de contact avec la Résistance (réseau PHRATRIE), il est à MARSEILLE où il assure, comme beaucoup de ses camarades, le transport de courriers et de valises radio, l’écoute et la diffusion des messages en provenance de LONDRES… et il précise que, lui, il a toujours été sans arme.
Le cloisonnement entre les différents réseaux et nombreuses composantes de la Résistance, ainsi que le secret indispensable qui entourait toutes les opérations, lui ont valu d’être l’un des acteurs d’une mission rocambolesque, si le danger et les risques considérables pris lors de déplacements parfois lointains n’enlevaient pas toute la connotation presque comique de l’épisode. Lui, il la raconte -avec un sourire- de la manière suivante : parti avec un camarade de MARSEILLE pour VALENCE en train afin de porter un document, ce dernier se rend compte à l’arrivée à VALENCE qu’il n’a pas les coordonnées précises de la personne à contacter: ils sont obligés de revenir à leur point de départ (MARSEILLE donc) avant de repartir vers VALENCE !
Il rejoint la capitale courant 1943 et comme il est resté en compte dans les effectifs du G.C.R, il retrouve des collègues et poursuit ses activités clandestines.
Dans Paris, ses déplacements en métro ou à pied dans les rues lui procurent d’intenses émotions. Voici deux événements, parmi beaucoup d’autres, qui l’ont marqué :
– Suivi à peu de distance par un camarade, au sortir d’une bouche de Métro, Henri, avec sa valise radio à la main, passe devant un soldat allemand en faction en haut de l’escalier ; ce dernier le regarde passer, mais arrête son camarade qui le suivait pour vérification des papiers : si Henri avait été contrôlé, lui, avec sa valise, c’en était fini pour lui.
– Se rendant au 68, rue NOLLET, dans le 17° arrondissement, où se trouve une Centrale d’écoute clandestine du STN (4) et un refuge d’évasion du réseau Pat O’Leary (5), il entre dans le hall de l’immeuble, mais la concierge l’arrête et lui dit : «ils sont là-haut !», Henri comprend instantanément que la Gestapo avait envahi les locaux et s’enfuit. Là aussi, il est passé bien près de se faire prendre !
Au cœur de la libération de PARIS, au milieu des combattants et des tirs, il n’hésite pas d’aller (par «curiosité» raconte-t-il par modestie!) au plus près des combats et des accrochages qui émaillent la capitale juste avant l’arrivée de la 2°DB et des alliés. C’est ainsi qu’en s’approchant d’une zone de combat, il entend claquer à ses oreilles une balle (claquement caractéristique s’il en est) qui passe entre lui et un camarade : un tireur ennemi avait raté l’un ou l’autre de très peu !
À ce sujet, il tient à préciser qu’au cours de toutes ces circonstances et tous ces événements, c’était sa jeunesse qui lui avait permis d’avoir la foi et le courage, voire la témérité, d’agir, comme d’ailleurs le plus grand nombre de ceux qu’il avait côtoyés pendant cette période.
1945-1987
En 1946, il quitte le G.C.R en pleine réorganisation, car, s’il restait dans cette organisme, il allait continuer à être cantonné à des postes d’écouteur, activité qui ne l’intéressait plus du tout car son idéal était de faire de la transmission en morse. Il entre alors à la Radio diffusion française (RDF).
C’est à la fin de cette année-là, début décembre, qu’il passe l’examen de radioamateur en insistant auprès de l’examinateur pour recevoir immédiatement son indicatif, quitte à payer la taxe y afférant pour moins d’un mois… et il a obtenu satisfaction avec l’indicatif F9BS !
Très actif en télégraphie, il devient rapidement pendant quelques années le représentant de l’ISWL (6) pour la France.
Henri se marie en 1949. Il reste jusqu’en 1953 à la Radio Télévision Française (la RDF est devenu la RTF) et habite à VINCENNES tout d’abord, puis à LE PERREUX.
En 1954, il revient à Marseille et devient commerçant par la force des choses et pour des raisons familiales : gérant d’une épicerie, il peut bénéficier du logement situé au dessus du local commercial, logement où il emménage avec son épouse et sa fille.
En 1959, il part pour les Alpes maritimes et commence par habiter COMTES où il exerce plusieurs métiers. Puis en 1964, s’étant fait embaucher par l‘EDF, il occupe un minuscule appartement dans le centre de la vieille ville de NICE. Il intègre ainsi les équipes de poses de lignes électriques et d’installation de transformateurs basées à NICE-Lingostière. Il se fait remarquer par ses chefs (qui le lui disent!) pour son dynamisme qui tranche avec celui de ses équipiers.
Déplacé ensuite à DRAGUIGNAN dans le VAR, il achète à FLAYOSC une ancienne maison, située sur un terrain de 5000 m2 et où il habite au début avec sa famille d’une manière très spartiate. En consacrant beaucoup de temps et d’efforts à la rénovation et à l’agrandissement de sa maison, aux joies de la taille et de la cueillette des olives de ses 30 oliviers ainsi qu’aux vendanges de ses 300 pieds de vigne pour obtenir son vin de propriétaire, il peut s’adonner pleinement à sa passion de radioamateur construisant et améliorant sans cesse sa propre station.
Henri prend sa retraite en 1980.
1987 – 2015
En 1987, il quitte le midi de la France et rejoint, pour se rapprocher des membres de sa famille, la petite ville de THEIX, située au sud de la ville de VANNES dans le Morbihan.
Désormais, Henri coule des jours paisibles en Bretagne où il peaufine de temps en temps sa station, comme il l’avait fait à FLAYOSC. Il participe aux QSO en AM surtout quand il apporte des modifications à ses équipements, car il préfère avant tout construire et améliorer, plutôt que «discourir» sur l’air !
Sa station, régulièrement complétée au fil des années, est du genre intransportable, car constituée d’un grand nombre de sous-ensembles placés sur une grande étagère en bois, à part un BC342 et un Super PRO placés à côté sur une table.
À chaque QSO, il ne manque jamais de signaler à ses correspondants, lorsqu’il s’agit de la décrire, que sa station est une station «à zéro euro, zéro centime»! en voici un exemple : c’est à FLAYOSC qu’il avait trouvé un jour un BC342 à côté d’une poubelle et qui s’était révélé très bien fonctionner malgré tout : ce récepteur est toujours celui qu’il utilise en réception !
En 2002, son passé d’héroïque résistant lui permet, longtemps après, d’être de nouveau distingué. Le président d’une association d’anciens combattants et résistants remarque, à l’occasion d’une réunion, qu’il n’avait pas reçu la Légion d’Honneur malgré l’ensemble de ses états de service et alors qu’il avait déjà été décoré de:
-
- la médaille des Engagés volontaires,
- la Croix de guerre 39-45,
- la Médaille militaire.
- la médaille de la Résistance.
Pour ses activités empreintes de courage et d’abnégation en tant qu’authentique résistant, Henri DISCAZAUX est finalement décoré en 2003 de cet Ordre prestigieux, au cours d’une cérémonie simple et émouvante, organisée par la municipalité de THEIX.
15 décembre 2015
Sa station, après tant d’années de bons et loyaux services, n’est plus opérationnelle, car l’antenne, une Lévy avec sa descente bifilaire, a malheureusement été emportée par une des tempêtes du printemps 2014. Cette antenne, désormais réduite à la partie des deux brins de l’échelle à grenouilles qui subsiste sous le toit du QRA, ne permet plus à Henri de réaliser d’autres QSO que ceux qui seraient «à portée de fusil ».
NOTES
(1) Division d’Infanterie Nord Africaine
(2) Le Groupement des Contrôles Radioélectriques, qui est rattaché au Secrétariat d’État aux Communications, regroupe les Services Radioélectriques du Territoire (SRT) et le Groupement des unités d’Écoutes et de Radiogoniométrie (GER).
(3) Mission du GCR : sous le couvert d’écoutes de presse et d’écoutes commer-ciales, le GCR travaille en fait pour le 2ème Bureau français et entre dans le cadre de la résistance générale à l’occupant. Les activités secrètes que mène alors le GCR, organisées par son Directeur le capitaine Romon pour le compte des Services de Renseignements français, puis pour les SR alliés et l’Intelligence-service à Londres, peuvent être résumées de la façon suivante :
– interception de toutes les émissions allemandes,
– établissement des réseaux et schémas radio de la Gestapo et de la Vehrmacht (notamment les mouvements de l’aviation allemande dans les aéroports français),
– analyse de l’ordre de bataille des forces allemandes,
– interception du trafic déchiffrable des réseaux de l’occupant,
– transmission au PC Cadix d’Uzès des messages allemands cryptés par «Enigma»,
– information des résistants clandestins lorsqu’ils sont repérés par la Gestapo.
(4) Le Service des Transmissions Nationales (STN), créé à partir de juin 1943 par le commandant Romon, est mis à la disposition du Réseau de renseignements Alliance; ce service a été organisé en centres de transmission clandestins et animés par des opérateurs radio dont beaucoup étaient issus du CGR, tous résistants motivés.
(5) Ce lieu est cité, pour le réseau Pat O’Leary, dans un livre récent : «Les lieux de la Résistance : PARIS » d’Anne THORAVAL, aux Éditions PARIGRAMME.
(6) International Short Wave League, créée en 1946, existe toujours ; son siège est en Angleterre.